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Parti socialiste : un grand sentiment d’impuissance

Je participais hier à une réunion nationale du courant majoritaire du PS. Aimable appellation convenue tant il est difficile de définir aujourd’hui ce qui rassemble encore celles et ceux qui en sont membres. Peut-être reste-t-il, de ce qui fût un rassemblement, l’usage d’une infinie courtoisie empreinte d’une grande lassitude pour répéter les analyses qui s’écartent un peu plus jour après jour. Interminable exposé – au demeurant intéressant – de JC Cambadélis, pour dire pourquoi on ne peut pas faire autrement (aujourd’hui, d’approuver la révision constitutionnelle, hier, le CICE, demain, le code du travail, …). Longs argumentaires en réponse. Chacun repart muré dans ses convictions. Et encore n’étions-nous qu’entre “majoritaires”.

Samedi prochain, l’exercice se répètera sans doute – en bien plus rude – à l’occasion de notre conseil national. C’est le même scénario depuis maintenant plusieurs années et le congrès, qui aurait dû servir à cela, n’a rien tranché. Le parti est fracturé. Les lignes évoluent parfois – la question de la déchéance de nationalité ayant fait bouger quelques unes de ces lignes. Mais au fond, elles sont profondément figées. D’un côté ceux qui combattent avec acharnement les lignes économiques – principalement – et les options sécuritaires du Président de la République : les accords sont tus, tout doit alimenter la mise en scène des désaccords. De l’autre ceux qui défendent les choix présidentiels mais rivalisent de maladresse en brandissant un argument d’autorité dont il est difficile de cacher qu’il est trop souvent un aveu d’impuissance.

Tout cristallise tellement le débat que, face à une question grave – la bonne réponse de la République française quand elle est attaquée et provoquée par le terrorisme – on finit par ne décrypter, dans les réactions des uns et des autres, que des jeux de rôle.

La question est là : à quoi sert encore le parti socialiste ? à quoi sert un parti politique sous la cinquième république, telle qu’elle a été présidentialisée par le quinquennat ? Les députés, dont l’élection suit celle du Président et dont le mandat peut être interrompu par lui, ne sont susceptibles de contribuer à l’avancement du pays que s’ils s’inscrivent pleinement dans la ligne présidentielle. Le reste est gesticulation. Exit donc, les députés. Restait le parti politique, désignant son candidat. En premier, le PS a renoncé à ce rôle, le déléguant à ses sympathisants par le biais d’une primaire. Le président ex-heureux-élu-de-la-primaire détient donc désormais sa légitimité de lui-même et plus de son parti politique. Exit le parti politique. Une vision en somme plus conforme à la vision du pouvoir d’une droite héritière du bonapartisme que d’une gauche démocratique et citoyenne. Le jour où, sous le duo Chirac-Jospin, nous avons voté pour le quinquennat (j’avais, en brave militante, fait campagne pour), nous aurions mieux fait de rester couchés. Et celui où, sous la houlette de Martine Aubry et à l’inspiration d’Arnaud Montebourg, nous avons adopté le principe de la primaire pour le candidat du PS, itou.

Une partie de la gauche se crispe sur le Premier Ministre. Cela me semble absolument secondaire. Le Premier Ministre n’existe que par le Président de la République. Il est vrai que Valls tend volontiers les débats – avant que Macron ne les hystérise -. Il est vrai que la “jurisprudence Chevènement” (“un Ministre, ça ferme sa gueule ou ça démissionne”) devrait urgemment s’appliquer à Macron, Taubira se l’étant appliqué à elle-même avec honnêteté et panache. Mais le problème, au fond, n’est pas là.

Le problème, c’est bien cette ligne, soit impensée, soit initialement tue, qui est celle qu’emprunte François Hollande.

Le flou, c’était donc un loup comme nous le dénoncions lors de la primaire ? Evidemment pour partie. Flou de la pensée ? Ou plutôt flou de la communication sur la pensée ?

Le réel s’est-il brutalement chargé d’imposer des inflexions majeures à un projet conçu pour un monde moins tourmenté ? Je crois que cette hypothèse – celle autour de laquelle Cambadélis argumente – joue pour une autre part. La violence à travers le monde, venue frapper en France, la faiblesse de l’Europe et celle de la France en Europe à l’issue du quinquennat Sarkozy, la force brutale de la finance qui reste, comme l’avait diagnostiqué le même François Hollande, notre ennemie, les fractures au sein de la société française et ce chômage de longue durée dont les élites ne comprennent ni les ressorts ni les effets, l’interrogation existentielle sur ce qui fait sens dans une société de la consommation et de l’apparence, tout cela pèse lourd. Et impose sans doute des réponses que nul à gauche n’avait envisagées parce que nul n’avait voulu voir – ou n’aurait pu imaginer – le monde tel qu’il serait.

Or le rôle d’un responsable politique, surtout quand il est au pouvoir, ce n’est pas de refuser de voir le monde tel qu’il est. C’est de s’emparer des opportunités pour permettre au pays d’avancer en fidélité à ses valeurs. C’est aussi – et, dans le moment présent, peut-être surtout – de protéger le pays des désordres que le monde tel qu’il est peut produire – tel qu’il est ici et maintenant et que nous ne pouvons pas fuir en nous réfugiant derrière d’illusoires frontières ou une quelconque nostalgie – . En cela, l’état d’urgence est sans doute temporairement nécessaire et son inscription dans la constitution souhaitable – y compris sur le plan démocratique.

Le problème, c’est aussi de n’avoir pas compris que le régime présidentiel, avec sa concentration des pouvoirs autour du Président, mettrait à mal les solutions utilisées pour rassembler le PS et, parfois, rassembler la gauche. Pour mettre fin aux débats en son sein, le parti socialiste vivait avec cette assurance hollandienne, presque fétichiste : avec un peu de cette habileté dont on se féliciterait entre pairs, une bonne synthèse serait toujours possible. Or il n’y a pas de synthèse possible quand la dissymétrie des pouvoirs est trop grande. Face au rouleau compresseur, ceux qui se sentent floués se crispent et se radicalisent.

Je défends pourtant, avec constance, la culture du compromis. Elle est celle des constructions communes des concessions réciproques qui imposent que chacun garde l’estime de lui-même et de ses interlocuteurs. Elle se construit entre égaux. Elle devient inopérante quand les pouvoirs se concentrent. C’est le cas aujourd’hui.

C’est donc un chantier urgent, pour la gauche, de repenser l’équilibre des pouvoirs et les régulations possibles de ceux-ci, pour le pays et en son sein. Or il n’y a pas de chantier plus difficile à faire partager à nos concitoyens.

Je ne sais s’il est encore possible de nous souhaiter collectivement bon courage …

 

 

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