Elections américaines, réflexions françaises
Trump a gagné l’élection présidentielle américaine. C’était impossible. C’est fait.
Je termine ce soir la lecture du dernier ouvrage du géographe, Christophe Guilly, Le crépuscule de la France d’en haut. Un essai écrit sur le mode « énervé », souvent agressif, parfois redondant, parfois énervant. Peu importe : ce qu’il décrit est ce que nous connaissons bien, nous, habitants et élus de la France périphérique. C’est le destin de cette partie de France, loin des métropoles, qui refuse de s’inscrire dans leur modèle ultra-libéral, un poil libertaire, hyper-connecté, mobile jusqu’à l’excès, mondialisé. A moins que ce ne soit – évidemment – l’inverse : plutôt que de subir l’humiliation de la relégation et se sachant pertinemment exclus, ces territoires se désintéressent du modèle métropolitain, plus encore qu’ils ne le rejettent, et inventent leurs propres références.
Leurs références ne sont pas celles de la mondialisation heureuse. Elles sont encore parfois celles de solidarités de proximité mais c’est une proximité de plus en plus faite d’homogénéité. La faute à qui ? La réponse est plus mêlée qu’il n’y paraît.
Certains commentateurs les découvrent moins marginaux qu’ils n’en ont l’air, ces territoires, quand on se retrouve, un soir d’élection, à comptabiliser leurs votes. L’Amérique périphérique ressemble sans doute aussi à cela.
La situation est devenue explosive. Au moment où les Américains votaient Trump, pour la première fois, une manifestation à Bourges dégénérait dans la violence. Des coups ont été portés, pas une fois, trois fois au moins, pendant, après, encore après. Une violence prévue, voulue, haineuse. Le prétexte : le rejet des étrangers.
Dans le même moment, avec la logique subtile et éclairée d’un rouleau compresseur, la Poste organise de nouvelles fermetures de bureaux de poste. Et « les autorités » considèrent comme de l’ordre de l’inéluctable la fermeture de nouvelles écoles en milieu rural.
Comment et pourquoi, nous, élus, qui représentons cette France, avons été incapables de peser vraiment, au sein de nos propres partis, pour faire entendre sa voix ? Nous avons gagné un combat : sauver, au moins temporairement, les départements. Revendiquons-le. Mais à côté de cela, combien de combats perdus, de leçons de morale reçues parce que nous disions que la modernité et la solidarité ne pouvaient être le propre exclusif de la ville ? Que la ville – dont j’aime la jeunesse, la créativité, la fantaisie et l’anonymat – coûtait cher, aussi, avec ses transports incessants, ses immenses inégalités et ses banlieues explosives. J’ai en tête, depuis 15 ans dans les instances nationales de la Fédération des Elus Socialistes et Républicains, quelques échanges tendus avec des élus des grandes villes de France, sûrs d’incarner l’histoire en marche et d’éclairer le chemin du progrès.
Je ne veux pas renoncer à défendre notre partie de France, celle de Bourges et du Cher, pour qui j’ai beaucoup de tendresse. Elle mérite décidément mieux que l’extrême-droite pour façonner son destin. Au risque de l’utopie – mais dans la situation présente, l’absence d’utopie serait démission -, de mille micro-projets, tentons de faire à nouveau éclore le sens de l’universel. C’est-à-dire le sens de la fraternité.
Madame,
Vous écrivez bien, on a plaisir à vous lire. J’ai plaisir aussi à lire le message que vous faites passer. Mais ce sens de l’universel et de la fraternité que vous appelez à la fin est sur une mauvaise pente, jusque dans nos institutions.
Mille micro-projets oui ! Mais que peuvent-ils au fond sans notre regard critique sur nous-mêmes, sur ce que nous mettons en place globalement, suivant les mille “dictats du temps” ? Ces dictats sont dans l’air, nous ne prenons pas le temps de les analyser et de les peser. Nous vivons dans un monde devenu tellement pressé que nous ne prenons plus le temps de réfléchir – dans un monde traumatisé aussi par la crise, à moitié étranglé, où l’angoisse ou l’excuse de la rentabilité ne laisse de place qu’à une maigre poignée d’initiateurs pour une multitude pyramidale d’exécutants. La matière grise souvent est priée de s’endormir, de se plier, ou se fait refouler du circuit.
Nous sommes entrés dans ce temps pressé où le regard ne peut s’éloigner de l’objet de travail pour en saisir la perspective. Car que serait-ce, de l’oisiveté ? de l’utopie comme vous l’évoquez ? On n’a pas de temps à perdre.
Nous validons par notre passivité ce monde stressé qui doit rendre compte, faire du chiffre en euros, en clics, ou en contacts pour le ciblage et la prospection. Même nos enfants passent à cette moulinette. Tout le social passe à cette moulinette. Et le service public. Et les apprentissages. Il n’y aura bientôt qu’un seul mot pour tous : clients. Des clients qui consomment. Qu’il faut satisfaire en surface. Qui notent et votent. Tout cela favorise les réactions primaires, l’immédiat, la décérébralisation.
Les mille micro-projets qui naissent pour la plupart d’initiatives individuelles devraient être mis en parallèle de plus gros projets nourris par mille prises de distance, mille pensées critiques, remettant le curseur du temps sur la durée et celui de la communication sur l’enrichissement intellectuel et l’échange véridique,
On apprend que l’enfant veut tout, tout de suite. Qu’il est attiré par ce qui brille, même si ça ne vaut rien. Voilà que la société entière est redevenue enfant. Alors oui il y a du beau dans cette naïveté… mais elle ne peut pas rimer avec responsabilité.
Vous qui êtes élue, voyez-vous ce qu’il se passe dans vos équipes ? Quelles valeurs elles mettent en avant, sur quel temps elles jouent, dans quel but ?
Merci pour votre analyse lucide et pour ces mille prises de distance critiques que vous nous proposez. Je partage avec vous cette idée que, sans refuser de prendre en charge l’urgence, nous devons penser résolument le temps long.
Tous les esprits et les lieux pour en débattre sont bienvenus.