De la dignité
J’ai fait cette semaine une rencontre qui m’a beaucoup touchée. Au marché de la Chancellerie, une femme m’aborde timidement pour me demander une aide pour un petit souci de poubelle. Nous échangeons. Sa voisine et elle en viennent à me raconter des bribes de vie.
Elles faisaient partie de ces personnes qui avaient été envoyées, dès leur petite enfance, en foyer, aux Goulevents, à Bourges. Les Goulevents étaient un des bâtiments de l’EHPAD de Bellevue, dédié aux personnes réputées handicapées. Les unes l’étaient lourdement, les autres avaient pour principal handicap d’avoir été abandonnées ou retirées à leurs familles, elles-mêmes en situation précaire.
Celle qui me parle y a passé son enfance, sa jeunesse et une partie de sa vie d’adulte. Trente ans. Et puis, “on nous a dit qu’on était comme les autres”. Elle pouvait et devait aller vivre sa vie.
Je me souviens de ce moment, au tout début des années 2000. Je siégeais à ce qu’on appelait alors la COTOREP (les MDPH n’existaient pas encore). La DDASS avait décidé la fermeture des Goulevents. Il était temps. Les personnels avaient sûrement fait leur possible mais les conditions étaient devenues indignes : pour les plus handicapés, attachés sur leurs lits à moitié nus ; pour les moins handicapés qui accomplissaient bien des tâches ménagères et prenaient soins de plus fragiles qu’eux.
Nous avions passé en revue l’ensemble des dossiers des résidents pour orienter les uns vers une Maison d’Accueil Spécialisée (pour les plus handicapés), les autres vers un foyer, les plus âgés directement en maison de retraite. Et puis il y avait ceux qui, nous disait le médecin, ne relevaient pas d’un placement, ni même d’un handicap.
Il était difficile de prévoir comment ces personnes qui avaient passé tant de temps en foyer s’adapteraient à une vie solitaire et autonome. J’avais à l’époque demandé qu’on continue de les accompagner dans leur nouvelle vie autant qu’il le faudrait. J’ai souvent repensé à elles.
J’étais donc heureuse de rencontrer ces deux femmes, colocataires, de vérifier qu’elles n’avaient pas été totalement “abandonnées” par les institutions et de les sentir tranquilles. Sans colère, presque sans amertume. Avec pour famille leurs anciens co-pensionnaires qui, de Vierzon, leur rendent parfois visite.
Les Goulevents ont fermé vers 2005.
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